mardi 28 octobre 2008

Dernier soir sur la Terre

Eh ben ! J'en avais déjà bien chié pour creuser la tombe de mon père et le placer dedans, mais là, pour tout reboucher c'était l'enfer : j'avais mal aux mains, au dos, au cou, et je n'en étais qu'à la moitié. J'avais creusé le trou au fond de notre jardin : j'ai pensé que c'était là qu'il aurait aimé reposer, près de la cabane à jardin. Il y passait des heures.
On était fin septembre, par une de ces fins d'après-midi grises qui vous fout le cafard. Moi, j'aime bien quand il fait beau, même si la température est froide : au moins il y a du soleil. Tout sauf ce plafond bas uniforme. On se croirait dans le Nord.
Oh et puis merde, j'arrête à la moitié, pour ce que ça changera... Au fond du trou, on voit encore quelques plis de la couverture bleu que j'ai utilisée pour l'enterrer, genre linceul. La terre n'a pas tout recouvert.
Je me suis redressé - mon cou a fait "crac" - et j'ai regardé autour de moi : la veranda déserte, la baie vitrée que j'ai laissée ouverte, le salon silencieux. De l'autre côté du jardin, il y a le sapin dont les branches pendent en partie chez le voisin, qui est mort il y a deux semaines, lui. Ce sont les services sanitaires de l'Armée qui ont évacué le corps. Mon père et moi, on s'était planqués à la cave pour pas être embarqués par les militaires, parce qu'ils continuaient à parquer les gens dans des camps de rétention ("Unités de survie", ça s'appelle, mais moi j'appelle ça un camp, désolé).
Mon père et moi, on a regardé par le soupirail les soldats et leurs drôles de combinaisons noires, les masques, les gants et tout, prendre d'infinies précautions pour charger dans leur camion blindé un sac vert qui devait contenir le voisin. L'évacuation a duré dix minutes et ensuite, ils sont partis. En s'éloignant, le camion a expulsé un énorme nuage de fumée grise. Pollueurs !
Alors, mon père s'est tourné vers moi et m'a dit hyper-sérieusement :
- Brendan, tu as treize ans, tu es un grand garçon, il y a des choses que tu peux entendre.
J'ai rien dit.
- Brendan, toi et moi, nous savons que tu es un... un Absous.
Les Absous, ce sont les gens qui n'ont pas choppé le SRAS-4, la maladie à la mode en ce moment. "Absous" pour "absolution", du style : la maladie nous a pardonnés, vous voyez le tableau. Il y avait polémique, avant que la télé ne cesse d'émettre, pour savoir si les Absous étaient vraiment immunisés contre S-4 ou au contraire, si la maladie finirait pas les avoir, eux aussi. La grande théorie, c'était que les gens qui avaient eu SRAS-3 -et s'en étaient sortis- étaient protégés contre SRAS-4. Une maladie qui immunise d'une autre ? Arrêtez de délirer, les mecs !
Mais j'en reviens à mon paternel... Il était lancé :
- Brendan, si je meurs, je ne veux pas que tu te laisses embarquer par les militaires pour qu'ils t'enferment en camp de retention. Je veux que tu cherches l'antenne Better Tomorrow la plus proche. Ils... ils te protègeront.
Pour les retardataires, Better Tomorrow c'est une espèce de groupe genre religieux qui recueille les Absous isolés, leur donne à manger, des fringues, des trucs comme ça. Pour les autres, les non-immunisés, c'est même pas la peine : S-4 les lessive en moins d'une semaine.
- Promets-moi, mon fils, promets-moi... gémissait mon père dans la cave.
Il n'avait jamais prononcé mon prénom autant de fois.
- Oui, p'pa. Je le ferai. Mais ne parle pas comme ça.
Il s'est mis à pleurer. Je n'ai pas trop su quoi dire.
Quatre jours après, il a commencé à tousser comme un malade, sans pouvoir s'arrêter. De petites ecchymoses brunes sont apparues sur son cou et ses avant-bras... C'était râpé.
Une semaine plus tard, il était mort.
Sur le coup j'ai chialé mais je me suis ressaisi assez vite : mon père m'avait élevé seul, ma mère avait foutu le camp quand j'étais très jeune, et je n'avais pas de frère et soeur alors bon... je savais me débrouiller. Mais quand même, ça m'en foutait un coup.
Alors voilà, je l'ai enterré. Ou plutôt... à moitié enterré.
Ce soir, il faut que je me repose parce que demain, on taille la route ! La mission Better Tomorrow la plus proche est à deux semaines de marche, à environ 80 bornes au sud de la ville, au bord de la mer. C'est ça leur truc, à Better Tomorrow : rassembler les Absous pour construire un bateau et partir sur les océans, émigrer vers une île où il n'y a pas de SRAS-4, et re-peupler la Terre. Mortel ! En tout cas, ça risque d'être sympa.
Je vais vérifier de nouveau mon sac que j'ai gavé de boîtes de conserves et de bouteilles d'eau minérales. Je suis allé me servir dans le supermarché désert qui se trouve de l'autre côté du lotissement : il y a une réserve qui a échappé au pillage d'une bande d'Absous il y a un mois. L'Armée les a mis en fuite, mais les voyous ont incendié la station-service, et quand les réservoirs ont explosé, les murs de la maison ont tremblé et les flammes montaient à cent mètres dans le ciel ! Wow, ça déchirait ! Le feu a même détruit une partie des grandes lettres sur le toit du supermarché : maintenant, on peut juste lire "E. LEC", tout le reste a cramé.
Bon, allez, vérification du sac !
J'ai fait un bref signe de croix en direction de la tombe de mon père, et je suis retourné dans le salon allumer les bougies. La nuit était déjà tombée, je ne l'avais même pas remarqué.

*
* *

Deux jours de perdus ! J'y crois pas !
J'avais traversé la ville du Nord au Sud et ça s'était plutôt bien passé : j'avais failli me faire repérer par une patrouille de soldats et tomber nez à nez avec une bande de maraudeurs Absous qui zonaient près de l'ancienne FNAC transformée en mausolée, mais in extremis, je les avais évitées toutes les deux. Ma bonne étoile, qu'est-ce que vous croyez ?
Et là, patatras : le seul pont encore en état pour traverser les deux bras du fleuve est bloqué par une sorte de gang de zonards, punks à chiens et tout. Ils sont une vingtaine, que des mecs et pas mal de clébards.
Que faire ? Mon père m'avait dit que le prochain pont praticable était à trente kilomètres à l'Ouest, vers la mer. Quant aux autres, l'Armée les a tous fait sauter.
Je suis resté presque deux jours planqué là, dans un ancien atelier abandonné en face du fleuve. Des combles, je les apercevais. Dès que j'entendais du bruit, je rampais fébrilement vers le trou dans le toit, espérant les voir déguerpir. Ils n'ont vraiment pas l'air commode. L'autre jour, ils ont fait sa fête à un type atteint de SRAS-3 qui s'est approché d'eux en titubant. De loin, dans mon poste d'observation, j'arrivais à distinguer le teint cireux de sa peau et le flot de bave qui s'écoulait sans discontinuer de sa bouche. C'est comme ça que ça marchait : flot de bave, fièvre, peau jaune voulaient dire SRAS-3. Hématomes bruns sur le corps et respiration caverneuse : SRAS-4. Moi, quitte à choisir, je préfèrerais mourir de SRAS-4 plutôt que SRAS-3. Toute cette bave, c'est dégueulasse.
Enfin bref, quant ce pauvre type est arrivé sur le pont, les zonards l'ont aussitôt repoussé avec de grandes perches et des barres-à-mine et ensuite, ils l'ont poussé par dessus le parapet, dans le fleuve, les enfoirés. Le mec hurlait. Atroce. Pas pu trouver le sommeil ce soir-là. Vous comprenez que je ne tiens pas trop à m'approcher d'eux.
Alors bon, le reste du temps, je grignote dans mes conserves, je dors et joue avec mon Rubik's Cube. C'est con : mon Blackberry 70M n'a plus de batterie et il n'y a plus de courant pour le recharger. Alors, j'ai emporté ce cube multicolore dans mon sac. Vous rigolez, mais ça aide à passer le temps : maintenant, j'arrive à le finir en deux minutes.
Soudain, en début d'après-midi, miracle ! Un véhicule avant blindé de l'Armée a fait irruption depuis l'Avenue Clamozy et a immédiatement commencé à allumer les punks au fusil-mitrailleur. Délire ! Quatre maraudeurs sont tombés, d'autres ont sauté dans le fleuve, et le reste s'est barré vers le Sud, hors de la ville. Le camion s'est arrête, un soldat en combinaison noire est descendu et a bombé les quatre corps avec un truc fluo, puis il a regagné le véhicule et ils ont foncé droit dans la direction où les punks venaient de fuir.
C'était le moment ! J'ai saisi mon sac, descendu hyper-vite le vieil escalier jonché de détritus de l'atelier et ai couru sur le pont. On sentait encore bien l'odeur de poudre, j'hallucinais ! Quand je suis passé près des corps au sol, j'ai détourné les yeux. Il me semble qu'il y en a un qui bougeait encore mais je ne me suis pas attardé, vous comprenez bien. En dix minutes, j'étais de l'autre côté. Gagné !
Je n'ai pas traîné pour ne pas tomber sur les punks Absous ou sur les militaires, et j'ai pris en oblique par la voie ferrée désaffectée qui passe par la grande banlieue Sud-Ouest, pile poil ma direction. Quasiment toutes les baraques et immeubles y ont brûlé, mais la semaine entière de pluie de septembre dernier a tout éteint. C'est juste l'odeur qui est dure à supporter. Mais j'aperçois déjà au loin les étendues vertes des premiers paturages communautaires. Demain, j'aurai quitté la ville.
Ce soir, après ces émotions, je vais m'offrir un petit somme dans une cabane abandonnée près de la voie ferrée. J'avais imaginé dormir sur l'une des banquettes d'un resto Quick aperçu non loin des rails mais j'ai dû laisser tomber. Dans les frigos privés d'électricité depuis trois mois, la bouffe avait pourri. La puanteur qui s'en dégageait était une véritable infection.
En plus, ça grouillait de rats.

*
* *

Putain, ce que je suis crevé... Vu que ça fait cinq jours que je marche et que je n'ai pas trop le moral pour écrire, je vais me contenter de relater quelques scènes de mon voyage. J'ai carrément l'impression que tout fout le camp.
Il règne une sale ambiance, c'est le moins que l'on puisse dire. Par exemple, le premier jour. J'ai eu une envie pressante et je me suis arrêté devant un corps de ferme abandonné. J'ai appelé "Il y a quelqu'un ?" en sachant bien qu'il y avait peu de chances pour qu'on me réponde et pas loupé, je n'ai eu que le silence en retour. Alors j'ai contourné le bâtiment principal pour être au calme et faire mes besoins tranquilles... et paf ! Je suis tombé sur eux, les habitants de la ferme. Enfin, ce qu'il en restait. Ils étaient quatre, recroquevillés sur le sol noirci. Je ne sais pas comment ils s'y sont pris, mais je pense qu'ils ont dû s'immoler, parce que j'ai vu, à côté des cadavres, un bidon de trente litres d'essence complètement calciné. Les flammes avaient léché le mur de la ferme, le lierre en avait pris un coup mais l'ensemble avait assez bien resisté. J'avais plus trop envie de traîner par là, vous comprenez bien, alors j'ai reculé. A côté des silhouettes difformes, il y en avait une plus petite. Quand j'ai compris ce que c'était, je me suis mis à courir, pour mettre le plus de distance entre moi et ce trou d'Enfer. Dans leur désespoir et leur volonté d'en finir, ces gens avait également immolé leur propre chien.
N'empêche que ça m'avait secoué, cette vision. Comment peut-on en arriver là ? Enfin bon, moi j'irai jusqu'au bout. J'ai une mission : atteindre Better Tomorrow, et j'y arriverai !
Le lendemain, après avoir dormi sous un arbre plusieurs fois centenaire (tiens, les plantes peuvent-elles choper la maladie ? Et les animaux ?) donc après m'être remis en route, je suis entré dans un petit village médiéval au bord d'une rivière et là, j'ai commencé à chercher un peu de flotte et de bouffe, histoire de recharger. J'ai aperçu une petite place avec un vieux marché couvert et une enseigne ECO-U délavée de l'autre côté. Super, j'ai pensé, elle a peut-être échappé au pillage ! Deux-trois boîtes de raviolis et je recommencerai à croire en Dieu.
J'ai pu entrer par la vitrine défoncée et en passant sous un amoncellement de cadis, j'ai atteint les rayons. Il ne restait rien d'intéressant mais, derrière un distributeur de Coca, j'ai mis la main sur une boîte familiale de miettes de thon. Expire à fin 2012. Bien joué, Brend' !
J'ai pensé me poser ici une journée, trouver une maison où je pourrais pioncer un bon coup... et soudain quelque chose a attiré mon regard. Sous le toit en bois du vieux marché, il y avait un truc qui pendait. Je me doutais bien de ce que c'était mais je me suis approché quand même. Pas pu m'en empêcher. Je dois commencer à développer un penchant pour ce genre de choses, c'est inquiétant.
Attaché par les pieds à l'une des robustes poutres supportant l'armature du toit, le corps d'un homme balançait doucement au gré du halètement des airs, le silence tranquille de la scène uniquement troublé par le grincement de la corde brune frottant contre le bois rugueux. Il était entèrement nu, mais ce qui m'a choqué, ce n'est pas la vilaine teinte cireuse de la peau, les pauvres organes génitaux rabougris, mais la figure du pauvre type : dans sa bouche et ses yeux, on avait enfoncé de la paille. Sur son ventre, un panneau de carton avec écrit dessus : "PILLAR". Plus facile de lyncher un pauvre gars que d'apprendre l'orthographe, pas vrai les mecs ? Putain d'enfoirés.
Et si les gens qui vivent encore ici, s'il y en a, me tombaient dessus ? Pas question de traîner. Direction la sortie du village et ensuite droit vers le Sud, moi, mon sac et mes miettes de thon.
Et puis avant-hier, mon premier contact depuis des jours avec un être humain vivant. Devant la place centrale de Crussy, la préfecture du département. Sur les marches de l'église, il y avait un homme assis. Je traversais les rues de nuit, la lueur de la pleine lune constituant alors un précieux atout. Bizarre, quand même : plus aucune patrouille de militaires depuis que j'ai quitté la ville, il y a cinq jours.
Sur la place éclairée par la lune ronde qui la faisait resplendir comme en plein midi, j'ai aperçu ce petit homme déjà âgé, au crâne dégarni, sur les marches de l'ancienne église romane aux colonnes immaculées. Je me suis approché : sous l'éclairage blafard de l'astre nocturne, j'ai vu briller le minuscule crucifix argenté sur le revers de sa veste défaite. Un prêtre : bonne pioche. Je pourrais peut-être me confesser, rapport à mon père que je n'avais pas fini d'enterrer... C'est con mais ça me taraudait depuis trois jours.
Et puis, qui sait, il sera peut-être d'accord pour m'accompagner jusqu'à Better Tomorrow ?
J'étais maintenant à trois mètres de lui.
- Mon Père ? ai-je demandé doucement.
Silence.
- Mon Père ? j'ai fait, un peu plus fort.
Il a relevé la tête. J'ai immédiatement vu la bave grise au coin de ses lèvres. Il n'en avait sans doute plus pour très longtemps. Sous la lune, ses yeux cernés semblaient deux puits noirs, reflets funestes d'une âme au fond de l'abyme.
- Mon fils, repends-toi, il a dit.
- Pourquoi ?
- Repends-toi pour les pêchés de l'humanité, mon fils.
- Je ne peux pas, mon Père.
- Tu ne peux pas te repentir pour Jesus Christ, le Fils de l'Homme ?
- Non.
- Et pourquoi donc ?
- Parce que je suis un Absous, mon Père.
Silence, de nouveau. Mes mots l'avaient visiblement touché. De sa bouche pendante, un filet de bave s'est écoulé. En tombant sur le sol, il a fait "ploc".
- Mon Père, j'ai repris, voulez-vous m'accompagner à l'antenne Better Tomorrow ?
- Il n'y a pas d'antenne Better Tomorrow, fils, a-t-il répondu.
- Pardon ?
- Il n'y a pas de Better Tomorrow.
- Qu'en savez vous ?
- Parce que Armageddon me l'a dit.
Complètement siphonné, ce curé.
- Armageddon et les trompettes de Jéricho, mon fils, a-t-il reprit. Tends l'oreille et tu les entendras.
- Je vais y aller, mon Père.
- Armageddon...
J'ai tourné le dos au pauvre type et j'ai hâté le pas. La place était déserte. Pas un son.
Vivement que j'arrive, j'ai pensé. Les conneries, ça commence à bien faire. Derrière moi, le curé m'a apostrophé :
- Repends-toi, Absous, Armageddon arrive ! Il me l'a dit !
- Merde, mon Père.
J'ai couru sous la lune, dans les rues désertes. Si le curé m'avait poursuivi, je l'aurais étalé. J'en suis capable : j'ai quand même fait deux mois de tae-kwon-do.

*
* *

Mon voyage s'achève. Je les ai trouvés. Au bord de la mer, le long de cette plage jonchée de détritus qui mettront des millénaires à disparaître. En tout cas, qui dureront beaucoup plus longtemps que nous, les humains.
J'ai aperçu cette grande villa que je cherchai depuis le matin, deux jours après ma rencontre avec le curé illuminé. Flottant dans l'air, agitée mollement par le vent, la banderole qui pendait du toit semblait une bien dérisoire invitation, avec juste ces quelques lettres lisibles dans les plis du tissu : "Better Tom". C'est marrant, ça m'a fait penser au "E. LEC" du supermarché qui a brûlé pas loin de chez moi. J'ai commencé à avoir un mauvais pressentiment mais j'ai quand même hâté le pas.
En haut des marches de la villa démesurée, j'ai actionné le heurtoir en forme de tête d'éléphant de la porte d'entrée. C'est con, mais je me voyais pas faire irruption comme ça, donc j'ai frappé. Et j'ai attendu. Là encore, le silence.
Alors, j'ai contourné le mur d'un patio à gauche et je les ai découverts dans le jardin qui surplombait la plage. Ils devaient être une vingtaine, à peu près autant d'hommes que de femmes, inanimés. J'ai vu aussi les jattes encore remplies d'une eau devenue saumâtre, les bouteilles de whisky et de gin par terre, les centaines de capsules beige et rouge dans le sable, les petites boîtes d'emballage qui s'étalaient par dizaines sur la véranda, la table de pique-nique, le petit escalier qui menait à la mer, des dizaines de boîtes où étaient inscrits ces mots fatidiques bien connus de ceux qui partent pour le long séjour dont on ne revient pas : Fenergan, Atharax, Mogadon, Valium. Il avaient sûrement dévalisé la pharmacie du coin.
Better Tomorrow... Je ne vous en veux pas.
Alors, adossé au mur du patio, je me suis mis à pleurer, à pleurer et j'ai bien cru que je ne pourrais jamais m'arrêter, que j'allais me dessécher pour ne plus faire qu'un avec ce sable que j'aime, et mes larmes allaient former une rivière et se jeter dans l'ocean qui, sous le soleil impérial, resplendissait comme un miroir ardent.

*
* *

C'est la fin de la journée et je suis resté sur la plage depuis le début de l'après-midi. Il faut que je me mette en recherche d'un abri pour passer la nuit. Pas question de dormir dans la maison de Better Tomorrow.
J'ai allumé un petit feu et mangé ce qui restait des miettes de thon. Avant cela, j'ai ouvert les yeux le plus longtemps possible pour ne rien perdre du coucher de soleil. Malgré les larmes qui coulaient, j'ai tenu à le regarder : Ra, le Père de toute vie.
Jamais je ne me suis senti aussi seul.
Maintenant la nuit est tombée. Je commence à avoir froid. Derrière moi, les flammes meurent petit à petit.
Putain, ce que je suis crevé... Tout à l'heure, en approchant du feu pour remuer les braises, j'ai crû voir de petites ecchymoses brunes sur mes avant-bras. Mais c'était peut-être un reflet.
Je vais m'allonger un peu, attendre... Demain, si j'arrive à me lever, je reprendrai la route de la ville et je retournerai finir d'enterrer mon père. Ensuite, je m'allongerai près de lui et je regarderai les étoiles, ces diamants célestes qui illumineront par millions mon dernier soir sur la Terre.
J'ai posé ma joue sur le sable frais, en ai caressé doucement chaque grain. J'ai humé l'iode, bercé par le son du ressac rassurant.
Finalement, j'ai fermé les yeux.

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